C’est l’histoire d’une montagne qui se fissure. Le refuge posé sur son dos, à l’aplomb de ce qu’il reste du glacier, doit mettre la clé sous la porte. On ferme les volets. Le marcheur à bout de souffle ne pourra plus y déposer sa fatigue ni trouver une soupe et un lit pour la nuit. Un espace se ferme, un autre s’ouvre. La fissure est devenue une faille qui rend la montagne inhabitable. C’est la fin d’un monde, la fissure est rupture. Elle nous saisit : elle est là, béante, nous ne l’avions pas vue venir. Partout autour de nous pourtant des fissures se dessinent, ébranlent nos vies intérieures, nos certitudes, nos manières d’être vivants et d’habiter le monde.
Après le temps de la sidération, on reprend la marche, on fait demi-tour, contourne, recule… Des parois se dressent et notre regard s’accroche aux fissures, aux lignes de faille que la lumière redessine chaque jour depuis toujours. Précisément là où la grimpeuse ou le grimpeur s’engage dans un corps à corps avec l’élément. Les fissures tracent des voies à empoigner. Prise de main, prise de pied, contorsion, adhérence, opposition… dans le granite, la fissure est une issue, un chemin oblique qu’on doit apprendre à lire pour s’y faufiler et inventer un nouveau langage avec le rocher.
Compagnon de longue route, dont l’agilité dans le paysage s’éprouve chaque été, l’Arpenteur approche les lignes de failles traversant nos géographies intimes et collectives.
Écouter la mémoire des ruines d’un village abandonné, des murs lézardés devenus refuges pour la vie sauvage, s’embarquer pour un voyage dans le Grand nord là où femmes hommes et enfants se déplacent entre les lignes gel et dégel, entre oppression et résistance, rêver et résister avec les Even, explorer des gouffres sensibles les pieds sur et sous terre et toujours chercher les lueurs re-naissantes au creux des fissures et des interstices, là où des oiseaux font aussi leur nid, la nuit… Autant d’émotions à rencontrer sur les chemins obliques de l’été pour ouvrir des voies qu’on ne voyait pas, pour donner de la voix à nos lignes de faille. Et tenter de faire de cette itinérance une ligne de force et de partage.
Laetitia Cuvelier, co-directrice.
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